Je suis une migrante

Pas une réfugiée.

Je n’ai pas fui la guerre, ni les persécutions, ni la misère.

Je n’ai pas dû voyager des heures sur un canot pneumatique surpeuplé, sans savoir si le passeur n’allait pas nous jeter par-dessus bord avant l’arrivée.

Nous avons quitté notre pays pour offrir de meilleures perspectives d’avenir à notre famille. Je suis donc une migrante économique. La pire sorte de tous les migrants, si j’en crois une certaine presse, et les gens qui prennent la peine de commenter les articles en ligne.

Mon pays d’accueil a sûrement fait erreur en acceptant ma famille.

Déjà, j’ai été élevée dans une culture et une religion complètement différentes. Qui sait si je ne vais pas essayer d’imposer mes coutumes aux gens de souche ? D’ailleurs, certains magasins vendent des produits que j’avais l’habitude de manger chez moi, alors que la consommation de ces produits va clairement à l’encontre des valeurs de ce pays. C’est bien la preuve que je suis le cheval de Troie d’une marée d’envahisseurs qui va exiger que les locaux changent leur façon de vivre !

Ma famille n’est pas pratiquante, mais ma belle-mère a la possibilité d’aller dans un lieu de culte quand elle vient nous rendre visite. D’ailleurs, on vient d’en ouvrir un nouveau, c’est le début de la fin, croyez-moi ! D’ailleurs, je suis sans doute terroriste.

En outre, je ne fais aucun effort pour m’intégrer. Je ne parle que quelques mots de la langue du pays. Je fréquente majoritairement d’autres migrants. Je m’habille comme si j’étais encore chez moi, imaginez un peu !

Ce pays est trop accueillant, vraiment.

Par exemple, quand j’ai été faire faire ma photo et mes empreintes digitales à l’immigration, il y avait des boissons fraîches et des dattes dans la salle d’attente.

À chaque fois qu’on a passé les frontières, mon fils a eu droit à des sourires de la part des locaux préposés aux contrôles des passeports. Une fois, il a même reçu un paquet de biscuits.

Quand il a dû être hospitalisé un mois après notre arrivée, alors que nous étions encore « sans papiers » et surtout « sans assurance »,  des gens que nous ne connaissions même pas ont fait en sorte qu’il soit soigné gratuitement, et qu’on nous rembourse la somme payée à l’admission. Quelques milliers d’euros.

Qui aurait cru que nous, des migrants, rencontrerions tant de tolérance et de générosité en terre d’Islam ?

Bien sûr, nous faisons partie de l’immigration « choisie », chère à ceux qui voudraient fermer les frontières à toute la misère du monde.

Bien sûr, tout n’est pas parfait ici, et tous les immigrés des Émirats n’ont pas notre chance. Notre situation reste précaire et nous risquons d’être renvoyés chez nous au moindre faux pas ou en cas de perte d’emploi.

Alors ? Je ne sais pas trop pourquoi je vous raconte tout ça.

Peut-être parce que j’étouffe mon fils de câlins et de larmes, depuis que j’ai vu la photo de son jumeau endormi sur une plage turque. Même âge, même couleur de cheveux, mêmes vêtements, et presque le même sourire, quand il était encore vivant.

Mais pas le même passeport.

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9 réflexions sur “Je suis une migrante

  1. Je suis venu ici sur les conseils d’une amie qui vit dans votre pays, et j’ai beaucoup apprécié votre façon de raconter les choses, drôles et beaucoup moins drôles. Pas facile de trouver sa place ici ou ailleurs, mais tous on cherche à être heureux. Non, hélas, pas tous, certains veulent surtout détruire les autres, ce qui semble les transporter de joie. Merci pour votre témoignage et bonne route. Bertrand

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  2. Bonjour Anne-Sophie. Merci d’avoir partagé ceci. Mes pensées te rejoignent, je ne cesse de serrer mes enfant contre moi. Au plaisir de te lire à nouveau.

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